sadness // WILL

Tu viens souvent te réfugier ici quand t'es pas bien. T'as piqué le truc à Luz, parce qu'elle-même vient ici. Mais normalement, c'est en journée que tu viens te perdre ici. Pas le soir. Pas la nuit. Sauf que t'en pouvais plus. Tu t'es disputée avec Wolf, comme souvent. Il te prend pour une gamine lui aussi, même si c'est différent. Et t'en as eu marre. T'as crié que tu voulais plus jamais le revoir, même si tu sais que c'est faux. T'as voulu, tellement voulu qu'il te rattrape par le bras et te dises d'arrêter tes conneries. Qu'il te ramène en te tirant par la peau du cul. Mais il t'a laissé partir. Il s'est surement dit que bon, t'allait pas faire ta chieuse longtemps. Bah voilà, dans ses dents à ce chacal. T'es pas rentrée. Bon clairement tu fais pas la maligne parce que la nuit tombe, tu flippes comme pas possible, mais t'as beaucoup trop de fierté pour ramener tes fesses de toi même à la Cité. Tu veux que Wolf vienne. Tu veux qu'on s'inquiète pour toi. T'as envie que quelqu'un, dans ce putain de monde, en ai quelque chose à foutre de toi. Mais ça arrivera pas Rouge, t'es trop une petite conne fougueuse pour ça, et tu le sais bien.

T'es en train de chialer, les genoux pliés sur ta poitrine, les joues rouges de colère. T'as peur, t'as faim, t'es pas rassurée. Mais tu bouges pas d'un poil parce que t'as trop de fierté pour baisser la tête et rentrer. Tu vas te faire bouffer par un tigre et personne ne pleurera, ils diront tous que tu l'as bien mérité. Même Wolf, tu te dis qu'au final, il serait mieux sans toi, sans cette petite chieuse de rouquine que t'es. Parce que qui voudrait de toi, hein ? Certains font semblant de se soucier de toi, Moana, Luz, Danny... Mais au final ils s'en moquent. Y'a personne qui t'attend nul part Rouge. T'es personne pour eux.

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Le 13 août 2020 · ft. @Rouge — J#317

Quand il avait vu de loin une chevelure ardente passer avec fougue juste après une armée cris assourdis par le tissu de la tente, alors même que le soleil commençait à se coucher derrière l'horizon, Wilfrid n'avait pas pu s'empêcher de la suivre du regard. Il y avait quelque chose, chez cette jeune fille, qui l'avait intrigué depuis le premier jour. Elle ne ressemblait en rien à eux, ni à Madeline et sa douceur, ni à Réginald et son honnêteté maladroite, pourtant elle lui rappelait un savant mélange de ses deux enfants. Tout juste une silhouette d'adolescente, rien d'autre, mais il y retrouvait la hargne de sa fille et le franc-parler de son fils. C'était peut-être tous ces petits riens, secoués ensemble, qui l'avaient poussé ce soir à se lever presque automatiquement en la voyant partir et s'enfoncer, seule, dans la forêt. C'était même d'ailleurs très certainement une fois encore, ironiquement, tous ces petits riens, et la crainte d'en faire trop, qui l'avait avant tout fait chercher du regard une autre personne pour s'occuper d'elle, en vain. Car Wilfrid avait peur, en un sens, de s'attacher à cette gamine comme à sa propre fille, et de ne faire qu'une forme maladroite de transposition sur elle, en y voyant les siens. De ne pas la considérer comme elle-même, comme une personne à part entière, comme Rouge, et personne d'autre.

Mais en voyant le calme plat après ces menaces lancées dans les airs, en constatant qu'aucune âme ne semblait prête à lui courir après, sûrement lassées et persuadées qu'elle reviendrait aussi vite... Will, lui, reposa au sol les morceaux de bambous qu'il était en train de tresser, prit dans sa poche un petit couteau fait avec un os bien taillé et deux pierres pour faire du feu en cas de besoin, et s'enfonça à sa suite dans les fourrées. S'il y avait bien quelque chose qu'il avait réussi à percevoir, avec ses deux enfants, c'est quand un petit être est véritablement blessé et sur le point de se briser : il est alors plus que nécessaire de prendre un peu de son temps pour aller déposer un bandage sur ses plaies et éviter ainsi qu'il ne casse.

Crier son nom n'aurait pas été malin. Wilfrid se contenta donc d'écouter les craquements au loin, suivre les traces de branchages écrasés par les pas pressés d'une petite fille agacée et frustrée par la vie. Il finit par la voir, là, recroquevillée à côté de la crique, le bruit de la cascade masquant tout juste ses pleurs et respirations trop rapides pour êtres contenues toutes à la fois dans ce petit cœur.
Ce qui l'agaçait particulièrement, lui, c'est qu'il n'avait aucune idée de pourquoi Rouge avait finie ici, à exprimer sa colère et sa tristesse sans que personne ne daigne venir lui sécher ses larmes. Il y voyait une forme d'injustice, d'anormalité, qui le dérangeait. Hésitant, il s'approcha doucement sans faire de bruit, et retira la veste en coton qu'il avait par-dessus son t-shirt abimé - il l'avait trouvé, chanceux, lors d'une expédition passée et elle lui était très précieuse quand la nuit commençait à tomber. Une fois à hauteur de Rouge, il déposa la veste à côté d'elle, en prenant soin qu'elle ne soit pas trop près ni trop loin, et il s'assit sur une roche quelque peu en retrait. « Tu vas attraper froid. », et sans un mot de plus, il se contenta de la fixer du regard avec des yeux qui lui hurlaient, vas-y, si tu veux parler. Vas-y.

T'as pas entendu le bruit, alors tu sursautes un peu en voyant Wil qui se ramène à tes côtés. T'as les sourcils qui se froncent parce que t'aimes pas être surprise, ça montre que t'étais pas prête pour un éventuel danger. Mais tes yeux se posent sur la veste qu'il a déposé à côté de toi. Il prend le soin de s'éloigner un peu, d'aller s'installer plus loin, et tu l'aimes bien pour ça, Wil. Parce que t'aimes respirer, t'as du mal à te montrer vulnérable devant les gens. T'es comme un animal sauvage Rouge, t'as besoin qu'on te donne du temps, et Wil, il est bien parti pour apprendre à t'apprivoiser. « J'ai pas froid, j'en veux pas de ta veste. » Ouais bon, tu vas pas non plus rentrer les griffes pour autant. En plus t'as un peu froid, mais t'es trop fière pour accepter son aide. T'as même pas envie de le regarder, alors tu te contentes de perdre ton regard sur l'eau, qui reflète ton visage de gamine boudeuse, d'enfant haineuse. T'aimerais bien toi, parfois, être plus douce, plus gentille. Pourquoi les autres filles de ton âge y arrivent, elles ? Tu te souviens parfois, quand t'étais à Détroit, tu voyais passer des groupes d'amies qui riaient. Elles semblaient gentilles, elles étaient belles, charmantes, élégantes même. Toi t'es qu'une sale rouquine toujours de mauvaise humeur, mais t'arrives pas à aller contre ta nature. « Pourqui t'es là ? J'reviendrais pas. » Bien sûr que si, t'y retourneras. Parce que plus que tout au monde, t'as peur qu'on t'abandonnes, qu'on t'ignores, qu'on te laisse dans un coin sans plus jamais penser à toi.

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Le 13 août 2020 · ft. @Rouge — J#317

Ca le faisait pas mal rire, Wilfrid, de voir l'obstination d'un ado à aller à contre-courant. Elle est là, à moitié en train de frissonner, à continuer de sécher ses larmes, blessée d'être seule et incomprise. Comme si personne sur l'île n'avait été ado comme elle, avant. Mais pourtant, elle refusera toujours de mettre cette veste au moment même où on la lui tend. Alors le haïtien esquissa un petit sourire tout en baissant la tête, il attendrait le temps qu'il faut, si elle ne veut pas de son aide maintenant. Car s'il y avait une chose dont Wilfrid était certain, c'est que Rouge finirait par rentrer à la Cité avec lui, qu'elle rentrerait avec sa veste sur le dos, et qu'elle finirait par le remercier. Tout ce qui manquait, à présent, était simplement le cheminement pour arriver à ce but, aussi étrange soit-il à atteindre.

S'il attendait dans le silence, c'était aussi car il savait pertinemment que Rouge reprendrait la parole. De la même façon qu'elle est partie en faisant la comédie et se plaignant sûrement d'être mal-aimée, elle ne pourrait pas se retenir de s'exprimer maintenant qu'elle avait des oreilles attentives. Et la pratique suivit rapidement la théorie, justement, quand la rousse sauta sur l'occasion, à la fois curieuse mais surtout, laissant croire à un caractère fort et assumé. Will prit alors une grande inspiration, levant la tête en direction de l'enfant, et soupira tout en prononçant ces mots : « Tu fais ce que tu veux, Wouj. Je te dis juste que tu vas attraper froid. »

Wouj, c'était le mot créole qui correspondait à cette couleur emblématique qu'elle portait. Son utilisation n'était ni anodine, ni involontaire, bien au contraire, car Rouge lui avait plusieurs fois fait comprendre que cette langue qu'il utilisait parfois par habitude l'intriguait. Alors il imaginait parfaitement l'impact que cela aurait, si de cette langue se créait un surnom, quelque chose qu'il partagerait, rien que tous les deux. « Dis, tu as finis maintenant ? Ou tu as encore envie de pleurer ? »

T'aimes pas les mots que tu ne comprends pas, ça t'énerve. Mais en même temps toi, un rien t'énerve donc bon. Pourtant dans la bouche de Wil, tu sais que ce n'est pas une insulte. Tu ne l'imagines pas avoir de tels propos envers toi, parce qu'il est gentil Wil, il ressemble à un professeur, l'un de ceux que t'avaient plus jeune quand t'allais encore au collège. Monsieur Kendricks, tu l'aimais bien car il était gentil avec toi, qu'il t'aidait et qu'il supportait ton caractère, même si à l'époque t'étais beaucoup moins sur la défensive, t'étais une gamine plutôt heureuse même. Comme quoi, il aura suffit que ton père décède pour que tout partent en vrille.

T'hausses simplement les épaules, ne jetant même pas un second regard à la veste - alors que pourtant tu meurs d'envie de la mettre sur tes épaules et de te blottir dedans pour te réchauffer. Cependant, quand il dit que tu pleures, tu relèves ton visage fâché vers lui. « Je pleures pas ! » Que contredisent les larmes sur tes joues et tes yeux rouges. Mais t'aimes pas qu'on te voit pleurer, alors tu te défends, en prétendant qu'il ment alors que la réalité crève les yeux. Puis tu soupires, passe ta manche sur ton visage pour en retirer l'humidité de tes larmes en reniflant, presque en te mouche sur ton bras. « Ok, peut-être juste un peu... »

Tu soupires Rouge, puis tu lèves tes yeux vers Wil. Il a une tête de gentil, tu sais que beaucoup l'apprécient à la Cité, et tu te demandes pourquoi toi, les gens ne t'aiment pas. Pourquoi personne ne cherchent à te connaître vraiment ? Tu te souviens du jour, y'a pas si longtemps, où tu as voulu te confier à Luz, et qu'elle t'a envoyé chier. Depuis t'es mal, parce que t'avais voulu baisser ta garde avec elle, et qu'au final, tu te dis que t'aurais pas du. « Pourquoi c'est toi qui vient me chercher ? Pourquoi c'est.. pourquoi c'est pas Wolf ? Ou Moana ? » Tu renifles, tu sens tes yeux qui redeviennent rouges. Tu vois flou, à travers tes larmes. « Ils en ont marre c'est ça ? J'veux dire, de me courir après. J'sais bien que j'ai pas un caractère facile, alors j'comprends qu'ils veulent plus de moi. T'es pas obligé non plus d'être là, ça sert à rien de faire semblant que je comptes. »

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Le 13 août 2020 · ft. @Rouge — J#317

Toujours assis, perché sur son rocher en retrait, Wilfrid commençait à recroqueviller une de ses jambes contre son torse. Il savait qu'ils pourraient rester là un certain temps, avant qu'il n'arrive à percer à jour Rouge, et qu'enfin, elle le suive à la Cité. Autant, donc, se mettre à l'aise. La petite bise du vent glissait doucement contre ses jambes. Il ne faisait pas froid mais le frais commençait à se faire sentir, et cette veste, étendue là, lui faisait de l’œil visiblement autant qu'à elle. Les yeux de Rouge, honteux, lançaient quelques regards vers le vêtement, mais ses mots restaient en totale opposition. Quand elle dément pleurer, Will ne peut pas s'empêcher de laisser échapper un petit rire, sans savoir si c'est ce qui l'a fait se raviser et accepter, enfin, qu'elle est en réalité triste.

Rouge, finalement, était en train de traverser les étapes du deuil. Le deuil de son adolescence, volée par Nil, ou le deuil de sa vie passée plus généralement. Du choc que ça avait du être de découvrir qu'elle était coincée ici, jusqu'à la colère qui l'avait menée ce soir à la crique, en partant elle avait crié ces quelques menaces de négociation pour d'avance marchander son retour, avant de pleurer et déprimer, là, devant Wilfrid, à se sentir bien seule. La bonne nouvelle, cependant, est que bien que ces vieilles étapes déjà passées pouvaient revenir et ressurgir par petites touches, il ne restait définitivement plus que l'acceptation. Satisfait de réaliser que le but était ainsi presque atteint, Will regarde Rouge dans les yeux quand elle tourne la tête et commence, enfin, à se laisser aller.

Il le sait très bien, Will, que Rouge ne veut pas forcément sous-entendre qu'elle n'est pas contente qu'il soit là. Et ça lui permet de mieux comprendre, d'ailleurs, d'où elle vient cette colère et cette rage : c'est que ceux auxquels elle tient sont ceux qui ne sont pas là, maintenant. Elle se sent abandonnée, la pauvre enfant. Une fois qu'elle a terminé de parler, Wilfrid se lève de sa roche et saisit la veste pour aller la déposer autour des épaules de Rouge. Il l'entoure du tissu, la prenant par la même occasion brièvement dans ses bras. Il sert son étreinte, puis bien vite, la relâche, avant que la furie ne lui en veuille. « Bien sûr que tu comptes, Wouj, pour tout le monde. Pour moi, comme pour eux, c'est évident. Mais tout le monde ne sait pas forcément comment... Réagir ? C'est le mot, je crois. Comment réagir devant une jeune fille en colère. »

Il se recule à nouveau, de retour sur son rocher. « Tu sais, on pense souvent qu'il vaut mieux laisser la colère s'apaiser avant de convaincre quelqu'un. Moi je pense que montrer qu'on est là, ça aide la colère à se calmer. C'est pour ça que je suis venu quand je t'ai vu partir. Mais je suis sûr que là-bas, Moana, Wolf, Luz... Ils sont tous en train de s'inquiéter. ». Dans un petit mouvement de moue, il relève la tête et la secoue en direction de la plage, qui n'est pas si loin avant de murmurer. « Si tu veux, on peut y retourner un peu plus tard... Ça leur apprendra à t'avoir regardé partir sans te suivre ! » puis il sourit, forçant presque ses yeux à se fermer, avec un visage profondément apaisé, presque paternel, maintenant que la jeune fille ne partirait plus. Elle irait mieux, il en était presque certain.  

T'as pas envie de mentir, pas à toi même, pas maintenant. Le geste de Wil te fait du bien, car déjà tu as moins froid, les frissons doucement commencent à te laisser tranquille, mais c'est surtout le fait qu'il fasse ça, qui te fait du bien. Parce qu'il se préoccupe de toi, s'assure que tu n'ais pas froid, prend soin de toi, et bon sang, ça te manque tellement ce genre de petites attentions, t'aimerais en avoir tout les jours, juste un truc aussi futile que de mettre une veste sur tes épaules, mais ça te fait te sentir bien, importante pour quelqu'un. Et tu sens aussi, la légère étreinte qu'il t'offre, câlin fragile et rapide, tu aurais voulu que ça dure plus longtemps, t'aimerais pouvoir te permettre de pleurer contre lui, t'autoriser à lâcher complètement prise et à laisser tes faiblesses s'exprimer, mais tu ne peux pas, tu n'y arrives pas.

Il recommence avec ce surnom, Wouj, mais après l'affection qu'il t'a donné, ça te dérange moins. Mieux encore, ça t'intrigue, t'aimerais savoir ce que ça signifie, pourquoi il t'appelle comme ça. Tu lui poseras la question plus tard. « Tu dis ça pour me remonter le moral.. J'y crois pas trop. » Et pourtant t'aimerais y croire, mais t'es pleine de doutes, et même si quelqu'un viendrait devant toi et te déballer à quel point tu comptes, tu n'es pas certaine d'y croire. Tu le regardes retourner se percher sur son rocher, t'aurais voulu qu'il reste à côté de toi, parce que t'avais l'impression d'avoir un sorte de rapprochement étrange à la père/fille avec Wil, il est là, à essayer de te remonter le moral pendant que toi tu t'engouffres dans tes peurs. « Non, j'pense qu'ils ont même pas remarqué que j'étais plus là. » Comme tes parents, qui ne remarquaient jamais quand tu t'absentais. Parfois tu partais toute la nuit, et tu regardais ton téléphone, voulant y voir, à l'inverse de tout les gamins, un appel de ta mère pour te demander où tu étais. Mais l'écran du téléphone ne s'allumait jamais.

Sa dernière remarque t'arrache un petit sourire au milieu de tes pleurs, et tu renifles en relevant la tête vers lui, en serrant sa veste sur toi pour te protéger un peu plus du froid. « T'as des enfants, Wil ? » Tu ne sais pas trop si tu as le droit de parler de sa vie avant NIL, t'as peur qu'il réagisse mal. Mais tu le trouves vraiment paternel, et toi ça te fait du bien.

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Le 13 août 2020 · ft. @Rouge — J#317

Ils ont même pas remarqué que j'étais plus là. Ses mots, comme ceux d'un enfant, vraiment, sont bruts. Elle n'a pas réfléchi, Rouge, à ce qu'elle allait dire. Elle l'a juste dit, réagissant aux suspicions qui se voulaient réconfortantes lancées par Wilfrid. Et ça, lui, ça lui brise un peu de son cœur. Comment cette gamine peut-être si certaine qu'elle ne compte pas aux yeux des autres, de ceux qu'elle côtoie tous les jours, qu'elle apprécient et qui l'aiment en retour ? Ne voit-elle pas les regards que lui lancent Wolf, quand il la voit partir au loin, ou l'affection dans les paroles de Luz qui s'adresse à elle et la façon maternelle qu'elle a de veiller sur ses plaies ? Il est biaisé, le petit chaperon, brisé sûrement par ceux qu'elle avait connu, avant.

C'est d'ailleurs sûrement pour ça qu'elle se met, maintenant, à vouloir parler de ceux qui gravitaient autour de Wilfrid. Non sans remarquer le sourire qu'il lui a volé, heureux d'y avoir réussi, le haïtien hésite : faut-il qu'il parle de sa vie passée, ou jouer l'illusion de celui qui vit le moment présent. Il ne voudrait pas qu'elle compare, ce serait stupide et, à coup sûr, contre-productif. Pourtant... « Deux enfants, oui. ». Il marque une courte pause. « Madeline devrait avoir 10 ans bientôt. Et Réginald... ». Le regard levé vers Rouge, il se perd dans ses yeux puis esquisse un petit rire hurlant à ses larmes qui se gorgent d'eau petit à petit de ne pas sortir. « Reggie aurait ton âge. Tu t'entendrais bien avec lui. Tu lui ressembles beaucoup, un peu sauvage, mais au fond, c'est quelqu'un de très aimant. Il suffit juste de le percer un peu à jour. »

Doucement, en faisant rouler les pierres qui s'effritent sous ses pieds, Wilfrid se lève de son rocher pour venir s'asseoir près de Rouge. C'était une impulsion, un peu comme s'il avait senti qu'il avait le droit, maintenant. A côté d'elle, il relève ses jambes pour les encercler de ses deux bras puis il attend, une longue, très longue, seconde. « C''est ta famille, tu sais. La Cité. C'est ta nouvelle famille. Il faut pas oublier l'ancienne, ils comptent toujours, mais il ne faut pas sous-estimer la nouvelle. ». Hésitant, il vient tout de même placé son bras autour d'elle, caresser son dos avec l'affection d'un père. « Tu es la petite sœur, la cousine, la voisine... la fille, pour certains. Ce n'est pas parce qu'ils ne le montrent pas comme tu le voudrais qu'ils ne t'aiment pas, Wouj. »

Puis c'est finalement la lumière du soleil dont le reflet a déjà grandement disparu sur l'eau de la crique, qui le ramène à une dure réalité. « Il commence à se faire tard, la nuit est en train de tomber. On devrait rentrer, tu penses pas ? »