lemon tree / ma

lemon tree
23.08.20 / la forêt @ma

Il a quitté la jungle à l'aube. Sa ronde matinale est automatique, Oro ressemble à un robot. Il n'a pas l'air fatigué, pourtant. Comme un animal nocturne, il ne dort que plus tard, dans l'après-midi. La nuit, il reste éveillé et perfectionne ses armes - autant dire que son arsenal se compose essentiellement de ce bâton un peu tordu qu'il taille sans cesse au bout pour le conserver le plus pointu possible. Pointu, oui, car tranchant semblerait un peu hautain. Cela fait plusieurs jours consécutifs qu'il remonte au nord de l'Île machinalement. Sans vraiment s'en rendre compte. Toujours avec un but précis en tête pourtant, une sorte d'espoir tabou. La voir. Pff, tu parles. Il balaye ses pensées d'un mouvement de la main, comme s'il discutait réellement avec quelqu'un. C'est que la solitude pèse et, parfois, on pourrait le surprendre en train de parler seul. Cela lui arrive bien plus souvent qu'il ne l'admettrait.
De toute façon, il n'a pas vraiment grand monde à qui le cacher, en soi.

Au passage, il relève ses pièges. La nuit a été fructueuse. Deux lièvres dont un, un peu maigrelet peut-être. Le deuxième fera l'affaire. Au moins pour aujourd'hui. Il compte bien mettre la main sur quelques fruits, aussi. Alors qu'il se fraye un chemin parmi les buissons, son ouïe un peu plus développée que la moyenne lui rapporte un bruit. Il se met machinalement accroupi, aux aguets. Le son est trop grossier pour que cela ne soit un animal. Il tourne la tête légèrement à droite puis carrément sur la gauche, justifiant ainsi son handicap. Son oeil mort. Il avance encore de quelques pas et c'est là qu'il la voit.
Elle semble déconnectée. À ramasser quelques fruits, comme coupée du monde extérieur. Comme si elle n'était pas vraiment ici. Oro laisse la pression retomber, retrouve un rythme cardiaque normal, presque plus détendu encore qu'à l'accoutumée. Il laisse même sa lance au sol, près de lui, plongeant ainsi dans une contemplation furtive. Il se sent comme un bandit, lui dérobant son intimité en profitant malgré-tout du fait qu'elle ne l'ait pas encore aperçu. Il aime cette position furtive, qui lui permettrait de s'évanouir dans la nature s'il en avait envie. Si seulement il en avait envie. Quelque chose l'attire irrémédiablement vers elle. Vers cette créature qui ne lui ressemble en rien. Si fragile. Si naïve. Habituellement, il a envie de les secouer, ces nymphes qui se croient au paradis ici. Mais avec elle, avec elle... c'est différent. Il aurait envie de découper les membres du premier qui osera la toucher. Il sent naître en lui comme un sentiment impulsif de violence, mêlant une possessivité extrême et un désir féroce de l'avoir pour lui. C'est drôle, quand on pense qu'il ne l'a vue qu'une seule et unique fois. Et qu'elle s'est échappée devant lui, comme un lapin devant un tigre. Qu'il n'a jamais vraiment pu l'approcher. Drôle ou pitoyable, il ne sait pas vraiment.
À ses pieds, une papaye l'appelle. Elle est un peu endommagée mais il pourrait s'en faire un bon repas pour ce soir. À la place de quoi il la ramasse et, odieusement, la jette dans la direction de la jeune femme, sortant sa tête du buisson où il se cache avec un sourire un peu imbécile. Maladroit. Il rajoute un signe de la main, pour la saluer. On croirait un gamin de dix ans à la cour de récré. Oro n'sait pas comment agir. S'il va vers elle, il met sa main à couper qu'elle va s'échapper. Comme un oiseau timide qu'on essaie d'apprivoiser.
Il retient sa respiration. Va-t-elle s'enfuir en l'apercevant ? A-t-elle peur de lui ?

dé de survie:

Le soleil ne rentre pas dans la chambre de fortune de Ma. Dormant au dernier étage de la cabane, bien à l'abri des prédateurs, et surtout des hommes. Elle n'accepte que la présence de Shaeryn, les autres personnes lui font peur, la tétanise. Une année entière à se cacher dans l'obscurité, comme une bête sauvage, une fleur qui dépérirait à la vue du soleil. Pourtant depuis quelques jours elle ose, ses pas léger effleurent doucement le sol, la terre. Elle a toujours peur, la boule au ventre qui sert encore, mais elle pense à Shaeryn. Ma, douce Ma ne veut plus être un fardeau. Elle veut, elle aussi, aider son amie, sa famille qu'est cette femme protectrice.

Depuis quelques jours Ma s'occupe du potager, tout prêt de la cabane. C'est déjà beaucoup pour elle, mais ce jour là, prudemment, lorsqu'elle s'y approche, elle remarque qu'un petit animal à du se régaler avec ses plantations. Il reste quelques fruits et légumes, mais beaucoup de choses ont été dévorés. Elle s'imagine à un lapin, toute autre pensée d'un animal plus gros et féroce lui donnerait des vertiges. Mais Ma, même si l'envie de retourner bien à l'abri dans la cabane la titille beaucoup, elle s'aventure finalement dans la foret, peu assurée. Elle cherche des fruits, des noix peut-être aussi. De quoi pouvoir replanter à la place des fruits perdus. Elle a hésité à demandé de l'aide à Shaeryn mais celle-ci n'était pas à la cabane. Et puis Ma veut se prouver à elle-même qu'elle peut se montrer forte, téméraire, même si cela ne dur que quelques secondes. Le traumatisme est toujours là, de partout dans son être, dans son âme.

Elle s'est éloignée de quelques pas, sans doute trop. Peu habituée à cette végétation, elle ne pense pas à marquer son chemin pour retrouver son foyer. Sur l'instant, sa concentration est totalement focalisée sur son objectif, elle ne se permet pas de penser aux éventuelles bêtes qu'elles pourraient croiser, de peur que son coeur s'arrête. Après quelques temps, Ma tombe sur un arbre fruitier. Panier en main, elle ramasse les oranges et les cueilles une à une, sur la pointe des pieds, pour les glisser dans sa besace. Jusqu'à recevoir, prêt de ses pieds, un papaye. C'est tout son panier qui heurte le sol, Ma qui lâche ses trésors en sursautant, de peur. Les oranges viennent se mêler à la papaye, roulant par terre. Lorsqu'elle voit la tête d'un homme sortir d'un buisson, elle se recule, prise de peur, ses mains tremblent déjà. Ma abandonne les fruits, venant se mettre derrière l'arbre, le coeur battant si fort. Elle n'était pas comme ça, autrefois, au Portugal. Elle a toujours eu peur de beaucoup de chose, mais pas autant. C'est depuis qu'elle est ici, séparé de ses parents, de Pedro, de sa vie, que Ma est devenue aussi fragile.

Cachée derrière son arbre, ses lèvres bougent doucement sans émettre de sons. Une prière muette qu'elle adresse à Dieu, venant d'une famille croyante, elle supplie qu'aucun mal ne lui soit fait.

lemon tree
23.08.20 / la forêt @ma

Bon.
Pour ne pas l'effaroucher, c'est raté. À voir sa tête, elle doit se trouver face à un yéti. Bon faut dire aussi qu'il trouve pas souvent l'occasion de se raser, ici, il doit faire un peu peur. Mais tout de même. À ce point ?
Il reste figé, comme si elle l'avait frappé. Son unique oeil intact la suit tandis qu'elle se réfugie derrière un arbre. Mille questions tournent dans la tête d'Oro, qui surchauffe d'interrogations. Est-ce qu'elle a été battue ? Est-ce qu'elle était une esclave ? Est-ce qu'elle a été élevée par des loups et n'a jamais vu d'hommes ? Bon. Il baisse la main, restée levée, interrompu dans son salut par sa fuite qu'il n'avait pas prévu si violente. Un léger soupir s'échappe d'entre ses lèvres. Il se gratte la tête, façon chimpanzé, planté dans son buisson comme un demeuré. Il se baisse pour récupérer sa lance, puis se demande si ça ne va pas l'effrayer davantage et se rebaisse pour la reposer au sol, façon robot déréglé. Il ose lui jeter un nouveau coup d'oeil. J'vais pas te faire de mal, tente-t-il maladroitement, d'une voix peu assurée. Comme s'il avait vraiment été frappé. Il a parlé dans un anglais toujours basique, parce qu'y a environ 0,3% de chance qu'elle parle le hongrois. Il s'extirpe de son buisson, laissant échapper un aie furtif quand une ronce prend son mollet en otage. Il l'ôte, ose de nouveau regarder vers l'arbre où il ne l'aperçoit même plus. Peut-être qu'elle s'est carapatée en vitesse. Il récupère tout de même sa lance et revient sur ses pas. Au passage, il piétine les buissons comme un gamin à qui on a refusé des bonbons. Pourquoi il l'effraie à ce point-là ? Bon sang, il a une tête autant dégueulasse que ça ? Il faudrait qu'il se regarde dans.. dans une flaque, tiens ! Comme si le ciel l'avait entendu, il sent une goutte, une deuxième, puis un véritable déluge lui tombe dessus. Heureusement que l'air est encore chaud. Au moins, ça fera ambiance tropicale. Tout ce qu'il aime. Pas du tout, en vérité. Ses maigres vêtements se retrouvent mouillés en un temps record et il tourne en rond quelques secondes, incapable de partir. Incapable de tourner le dos à cette rencontre qu'il n'arrive pas à aboutir. Et il ne parvient pas à comprendre pourquoi il s'escrime autant.

Bon, il s'en fiche en fait ! Qu'elle se tire, cette peureuse ! Elle est plus farouche qu'une biche, ma parole ! Un peu vexé tout en essayant de se convaincre qu'il s'en fiche, il marche d'un pas décidé vers l'arbre où elle s'est cachée quelques minutes avant. De toute façon, elle n'est sûrement plus derrière. Elle a dû trouver un trou de souris où se terrer. Il s'assoit dos au tronc, abrité médiocrement par les branches et les feuilles de l'arbre. De toute manière, avec la chance qu'il a, soit la foudre va tomber sur le seul oranger de la forêt, soit une coulée de boue immense va venir le noyer. Il trace des sillons dans la terre avec la pointe de sa lance, sans parvenir à se sortir de cette sensation de frustration intense qu'il éprouve après ça. Bon sang, c'est quand même pas la mort quoi. Puis au pire, il s'en fout ! Ou pas, en vrai. Enfin, visiblement. Plongé dans son mutisme, il attrape une orange qu'elle a laissé tomber. Il remarque son panier au sol, aussi, presque à ses pieds. Peut-être qu'il pourrait le ramasser et aller le lui rendre. Bon, stop ! C'est pathétique. Depuis quand il est comme ça, Oro ? Il se met pas à genoux, Oro, il court pas après les femmes, c'est l'inverse ! C'est tout, c'est comme ça, c'est comme la loi de la pesanteur. Il épluche le fruit et croque vigoureusement dedans, comme une vengeance sucrée. Sa mâchoire se bloque, il se met sur pause et écoute. Son oreille fine lui rapporte une respiration. Son oeil droit s'écarquille quand il saisit. Bon sang ! Elle est encore derrière l'arbre ! Et maintenant, tu vas faire quoi, hein ? Lui tomber dessus comme un gorille et la kidnapper ?
L'idée est tentante mais... mais à la place de ça, Oro recommence son petit jeu. Il attrape la papaye restée là où elle avait atterrit et... la jette derrière-lui un peu au hasard. Comme un jeu.

Les prières sont muettes. Le front posé contre le tronc de l'arbre, seuls ses lèvres bougent dans un silence pesant. Ma entend son coeur battre à tout rompre, qui pourrait éclater dans sa cage thoracique. Pourquoi a-t-elle si peur ? Une question de plus à rajouter à l'ardoise. Depuis un an qu'elle est ici, sur cette île maudite, la liste des questions qu'elle se pose ne cesse de s'allonger, encore et encore. Elle a peur, horriblement peur de tomber sur un prédateur, et pas forcément un animal. Elle ne les connait pas, les gens qui peuplent cet endroit. Ils sont peut-être cannibales ou juste très mauvais. Elle ne le connait pas, cet homme à l'oeil étrange, à l'oeil abîmé. Il a l'air sauvage, si viril. Elle n'a pas l'habitude, ne connait que des hommes comme Pedro, des presque-hommes qui sont encore si jeunes. Lui, c'est un vrai homme, et il est intimidant. Elle se sent encore plus fragile face à lui, alors qu'elle n'est pas restée plus de trois secondes dans son champ de vision.

Une goutte, deux puis trois. Comme une réponse du grand homme du ciel, comme s'il partageait ses peurs, la pluie vient mouiller ses cheveux, glisser sur son visage et sa peau, jusqu'à, en quelques secondes seulement, tremper l'intégralité de son corps et ses vêtements. Un déluge, une énorme averse. Mais Ma ne bouge pas, elle en est incapable, surtout qu'elle l'entend, l'homme venir s'adosser à l'arbre. Un tronc les sépares, et elle retient ses gestes, sa respiration. Elle l'a bien entendu sorti des mots, quelques secondes plus tôt, mais elle ne les a pas comprit. Doucement la douce Ma ouvre les yeux, juste à temps pour voir une main attrape une orange au sol. Elle ne bouge pas, comme un animal en proie à une bête sauvage. Cependant la pluie qui continue lui donne froid, et Ma frisonne, laisse échapper un soupire non contrôlé. Elle espère qu'il n'a pas entendu. Qu'il va vite partir. Mais l'orage s'en mêle. Tombe non loin, dans un bruit fracassant qui lui arrache à elle, un cri de peur. « Ah ! » Sa peur de ce bruit si soudain, mêlée à la chute de la papaye prêt de ses pieds, elle sait qu'elle s'est faite repérée. Et lorsqu'elle entend du mouvement derrière l'arbre, Ma se laisse tomber au sol, les fesses dans la terre humide, presque de la boue, dans sa jolie robe blanche maintenant parsemée de saleté. Son visage montre à quel point elle a peur, mais ses yeux fixent l'unique oeil valide de l'Homme. « N..Não me machuque.. ! » Des mots tremblant en Portugais qui s'échappent de ses lèvres. Elle a peur, supplie pour qu'on ne lui fasse pas de mal.

Il l'entend crier - et entend ainsi pour la première fois sa voix tendre et rendue aiguë par la surprise. Est-ce qu'elle a peur de l'orage ? Peut-être qu'elle vient de débarquer d'une porte il y a à peine quelques jours. C'est à ce moment-là qu'il se résigne à contourner le tronc.
Il la découvre assise par terre. Son visage est tordu dans une forme de terreur proche de l'arrêt cardiaque, sûrement. Là devant elle, il se sent comme un horrible monstre tueur tant elle semble avoir peur. Cela lui coupe l'herbe sous le pied et il reste debout devant elle sans savoir quoi dire ou quoi faire. Elle fixe son oeil et il est certain que ça aussi, ça la dérange. Peut-être que c'est ça, qui est effrayant chez lui ? Non, elle semble avoir peur de sa personne toute entière. Elle parle (enfin !) et.. et il ne comprend pas un mot de ce qu'elle dit. Il soupire intérieurement, vu qu'il n'ose pas bouger d'un cheveux. Cela aurait été trop beau qu'elle parle la même langue que lui. Et puis ce qu'il entend, ce n'est même pas de l'anglais. Il faut dire que le portugais est bien loin de son hongrois natal alors niveau compréhension intuitive, on repassera.

Comme s'il faisait face à un animal chétif et sauvage, il s'accroupit pour paraître moins haut. Et donc moins impressionnant ? Il détaille brièvement sa tenue. Elle est vêtue d'une robe qui semble blanche à la base, noircie par la boue, complètement humide si bien qu'aux endroits où elle n'est pas tâchée, on pourrait presque voir à travers.. Bon sang Oro ! Réveille-toi quoi ! C'est pas le moment de la reluquer comme un vieux pervers ! Il tressaille, l'eau lui coule dans le col tout le long de son échine. Ses cheveux en bataille retombent sur son front de manière désorganisée mais il ne s'en soucie pas. Il agite les mains devant lui, pour tenter de la calmer. Non, non, doucement.. Il devine bien qu'elle ne comprendra aucunement ce qu'il dit. Et son ton est si urgent qu'il n'est même pas sûr que cela la calme. Il essaie de détacher chaque mot, en anglais, parce qu'il a certainement plus de chances de se faire comprendre ainsi. Je ne te veux aucun mal. Il a essayé de parler plus calmement, d'avoir l'air relax et détendu malgré qu'il frissonne à cause de l'orage. Un nouveau coup de tonnerre retentit et il sursaute, tombant à la renverse vu le peu d'équilibre disponible dans sa position. Il tombe sur les fesses, comme elle, et la boue gicle jusqu'à ses cheveux. Passé la surprise, il relève son unique oeil vers elle et se met à rire, doucement. Après-tout, la situation est cocasse et surréaliste alors... le rire lui vient naturellement, même s'il semble un peu nerveux. Ainsi, la distance entre eux est augmentée et sûrement semble-t-il moins effrayant ainsi, assis dans la boue comme un môme. Il ramasse la fameuse papaye, élément déclencheur de cette tant souhaitée rencontre, et après une légère observation sur celle-ci, il l'essuie contre son pull troué et la lui tend, patient, silencieux. Comme un don, une offrande, une promesse.

Il est grand, imposant, oppressant. Ma se sent en danger face à l'Homme qu'il est. C'est tout son corps qui tremble, qui prit, demande à être épargné. Elle pense à Shaeryn qu'elle ne reverra peut-être plus jamais. Elle pense à beaucoup de choses, Ma, les pires scénarios passent dans son esprit, ce qui ne fait qu'accentuer la peur, lui donne les larmes aux yeux, l'incapacité à bien respirer. Mais il parle, tente d'articuler des mots en Anglais. Elle a du mal à les comprendre tant la peur la paralyse, mais Shaeryn lui parle aussi en Anglais, avec des mots simples. Elle comprend les mots "Non" et "Aucun Mal", paroles que Shaeryn lui répète souvent, dans une voix aimante. Mais la voix du Géant n'a rien de douce, pourtant il se semble pas vouloir s'en prendre à elle.

Un second coup de tonnerre.
Elle s'affole, panique encore plus. Sa tête se tourne vers le bruit soudain et sa respiration se coupe. Mais son regard est finalement attiré par le Géant qui vient de perdre sa hauteur. Il est tombé assis, tout comme elle, dans la boue. Et il se met à rire, son qui vient couvrir les gouttes de pluies, le tonnerre et peut-être même la peur. Mama lui répétait souvent qu'un homme riant comme un petit garçon ne pouvait pas être entièrement mauvais. Alors, doucement, une partie de la peur s'échappe du visage de Ma. Elle n'est toujours pas rassurée par sa présence, mais sa respiration semble se calmer.

Quelques instants après, il récupère la papaye qu'il tente de laver de la boue accrochée avant de lui tendre. Ma regarde le fruit quelques secondes, elle hésite. Mais finalement.. très doucement, prudemment, elle tend la main et se penche lui le fruit, déposant ses doigts dessus et le récupérant, tout en fixant l'oeil du Géant. « O..Obrigado. » La peur ne l'empêche pas d'être polie.

Nouveau coup de tonnerre, nouveau sursaut de Ma. La pluie lui donne froid, la rend inconfortable. Trempée dans la boue, la papaye en main, le Géant dans la même posture en face d'elle, elle n'ose pas bouger, ni se relever.

Le tonnerre semble vraiment la terroriser. Oro n'a jamais été confronté à quelqu'un qui pouvait le craindre autant. Si certains y trouveraient un contentement mesquin de supériorité, lui curieusement, ça le gêne. Il a beau jouer les gros durs et les gros lourds... Oro n'en reste pas moins comme un gosse face à ce sentiment de honte qui l'envahit. Oui, il a honte de l'effrayer à ce point. Même s'il ne fait rien pour. Il se sent coupable, sans savoir pourquoi et de quoi. En la regardant mieux, elle a l'air encore plus fragile. Sa peau est porcelaine - ne va-t-elle pas se briser ? Fondre au contact de la pluie ?

Il lui a tendu la papaye et commence à avoir une crampe au bras. Au moment où il s'apprête à se rétracter, persuadé qu'elle ne la prendra pas, elle tend la main. Il se fige tout entier, le coeur battant la chamade comme dans la cour de récré, quand la première fille lui a pris la main. Bon, là, il est clair qu'il ne va même pas sentir sa peau. Puis BON t'es pas là pour ça non plus, hein, Oro ? Elle attrape le fruit et il se concentre sur son visage. Elle ne semble pas détacher ses yeux de son oeil de cyclope et il en parait un peu gêné. Bon, au moins, elle fixe le bon c'est déjà ça. Souvent les gens fixent son oeil aveugle, ce qui le rend encore plus mal à l'aise. Il récupère sa main et la pose sur son genou, avec un petit sourire victorieux quand même. Comme s'il avait gagné un pari. Elle parle de nouveau, il apprécie le ton délicat de sa voix qui semble être un oiseau échappé d'une cage dorée. Pour la langue, il hésite entre l'espagnol et le portugais, ne sait pas trop, ne connait pas bien ce genre de langues latines. Mais il se souvient avoir entendu le mot déjà. Peut-être bonjour, ou bien merci ? Il imagine quelque chose comme ça, en tout cas. Il hoche la tête avec un fin sourire, pour toute réponse.

La pluie semble redoubler d'intensité. Ou peut-être est-ce parce qu'ils sont trempés jusqu'aux os qu'elle semble toujours tomber plus fort. Toujours plus froid. Foutu changement de température, aussi. Hier encore, il lui semblait être en train d'étouffer. Il passe la main dans ses cheveux devenus un peu longs. Il faudrait qu'il les coupe. Qu'il demande à Amalia de lui amener un couteau de la Cité, une fois. Il pose sa main contre son torse en relevant les yeux vers elle. Moi, Oro fait-il avec une légère envie de rire. Il se croirait dans Tarzan. Elle est aussi belle que Jane, d'ailleurs, même s'il ne devrait pas vraiment s'autoriser ce genre de pensées. Surtout qu'elle semble avoir la moitié de son âge. Bon, il exagère peut-être un peu. Ou peut-être pas ? Il mime un toit au-dessus de sa tête. Il faut se mettre à l'abri dit-il un peu plus fort pour couvrir le bruit de l'orage, qui semble s'intensifier. Il se relève très lentement et fait quelques pas en arrière, lui demandant d'un geste si elle veut bien le suivre. Il ignore qu'ils se trouvent à quelques pas de sa cabane à elle.

Pour la première fois, Ma lui sourit. Il se présente d'une manière qui lui rappelle son enfance, les journées qu'elle passait avec Mama à regarder des dessins animés. Elle a vu Tarzan, c'est même son préféré, alors elle ne peut retenir ses lèvres de s'étirer un peu lorsqu'il lui annonce son prénom, à la manière de ce sauvage. À bien le regarder et y penser, l'Homme viril lui fait penser à Tarzan sous cette pluie battante. Doucement la peur s'évade peu à peu. C'est peut-être de l'insouciance, inconscience d'un potentiel danger toujours présent, mais Ma se dit que peut-être ce Géant n'est pas mauvais, et ne lui veut pas de mal. « Oro.. » Dit-elle en le regardant dans l'oeil. Ce prénom, dans sa langue natal, signifie Prier. C'est peut-être lui, la réponse à ses questions, au final. C'est idiot, mais cette simple pensée suffit à la mettre en confiance. Peut-être que le Grand Homme puissant vivant au ciel a envoyé Oro pour elle, pour l'aider. Vu son prénom ça ne peut pas être une coïncidence pour Ma. Alors elle l'imite, pose sa main au milieu de sa poitrine, tout en le regardant. « Ma. » Comme un murmure, une berceuse.

Et puis il se relève, et même si elle veut lui faire confiance, elle ne peut s'empêcher d'avoir un léger mouvement de recul, toujours au sol. Mais il semble de suite moins menaçant, debout. Elle ne comprend pas ses mots, et fronce légèrement les sourcils en essayant de deviner ce qu'il semble mimer. « Chapéu ? » Bah quoi ? Il semble mimer un chapeau. Il faudrait qu'il s'entraine à ce jeu de mime, car il n'est pas vraiment doué. Mais finalement, vu le temps qui s'abat sur eux, Ma comprend qu'il propose de s'abriter de la pluie. La jeune femme hoche doucement la tête, et se relève en s'aidant de l'arbre, la papaye toujours en main. L'orage gronde toujours, et Ma ne cesse de sursauter, et de trembler de froid. Ses yeux continuent de regarder l'homme, son visage, sa barbe, ses cheveux. Il ressemble vraiment à Tarzan, au final.

« Suivre. » D'un Anglais hésitant, elle tente de lui faire comprendre qu'elle accepte de venir avec lui. Naïve fleur qui n'a pas conscience du danger. Elle ne le connait pas, il pourrait très bien lui tendre un piège. Mais Ma est trop pure pour penser à ça, sur le coup. C'est grâce à son prénom, Oro, la prière qui lui a été répondu. Alors elle fait un pas, puis deux en sa direction, tout en le regardant de ses grands yeux, venant mettre ses mains, de part et d'autre de ses bras frêles et tremblant pour tenter de se protéger du froid.