To catch or not to catch, that is the question... (Bishop)

— To catch or not to catch, that is the question...
23.08 ou jour 882, ft. @Bishop

Il s’interroge depuis l’instant où il a mis les pieds sur cette île, Wolf. Il avait jamais vraiment été croyant avant. Pas du genre à aller se planter à l’église tous les dimanches en tous cas. Longtemps, il avait dit qu’il était déjà en enfer et que le devoir des mortels, c’était de se racheter pour gagner leur ciel. Ironique, parce qu’il avait jamais essayé de se racheter Wolf. En tout cas, pas aux yeux de cette instance divine qui était censée veiller sur les hommes. La seule estime qu’il avait voulu gagner auparavant, c’était celle de sa famille. Au final, avec toutes les conneries qu’il avait faites, il valait même pas assez pour que quelqu’un daigne venir le récupérer à sa sortie de taule. Wolf, il était convaincu qu’il avait dû se faire frapper par une voiture sur le bord de la route, que Nil était son Purgatoire, la dernière chance qu’on lui donnait de gagner sa place dans l’Après, celui où les âmes étaient en paix. Sauf que chaque fois qu’il posait les yeux sur les gens qu’il côtoyait dans ce Purgatoire, il ne pouvait se résoudre à attraper une porte. Parce qu’ils le méritaient plus que lui.

Ce matin, Wolf s’était souvenir d’un hurluberlu qui avait passé un certain moment à la Cité. Un mec qui avait de grandes théories sur Nil et sur les raisons de leur séjour ici. Un autre qui était convaincu qu’il ne devait pas attraper les portes. Et aujourd’hui, c’était dimanche, son jour de repos. Ce qui signifiait qu’il n’avait pas grand-chose à faire de sa journée sinon lézarder au soleil avec les autres habitants de la Cité qui prenaient leur pause dominicale. Si bien que l’ancien taulard s’était mis en tête de retrouver ce gars pour philosopher un peu avec lui, dans l’espoir d’éviter de se faire darder en chemin… Aussi il avait marché le long de la plage de sable blanc, traversé les arches en admirant le plafond cristallin du coin de l’œil, foulé le sable brûlant de la baie noire avant de s’enfoncer lentement dans les épaisseurs de la jungle où on disait que l’autre avait élu domicile. S’il doute de parvenir à le retrouver, Wolf est persuadé que Rock le trouvera, lui.

Résultat du dé:

Les abords de la jungle étaient calmes aujourd'hui, plus que d'habitude en tout cas. Bishop sentait qu'il pouvait s'agir de ce genre de journée où rien de sensationnel ne surviendrait, en tout cas pas de la part de Nil, endormie ou fomentant son prochain coup pour radier la cité de sa merveilleuse île. Une journée où il pourrait probablement méditer en paix sur sa condition sur l'île, ou bien récupérer les âmes perdues venant d'arriver dans cet endroit pour leur expliquer la vraie voie de Nil.

Cependant, comme pour lui donner tort, la jungle dans laquelle il errait autant qu'il l'osait commença à s'agiter en milieu de matinée. Il n'y avait que deux raisons qui pouvaient pousser cet endroit à réagir : une porte qui apparaîtrait pour lâcher quelqu'un, ou bien une intrusion depuis le sud. Or, depuis le temps qu'il vagabondait dans les environs, il avait appris à lire certains signes provenant de la faune et parfois même, de la flore.

C'est donc sans trop d'hésitation qu'il se dirigea vers le sud de la jungle, précautionneusement afin de ne pas se faire surprendre en chemin, mais assez rapidement pour intercepter l'importun avant qu'il ne s'enfonce trop dans la végétation dense. Un seul coup d'oeil lui suffit pour se rappeler qu'il avait déjà vu cet homme. Arrivé après lui sur l'île, mais souvent dehors pour rabattre les nouveaux arrivants vers la cité. Sa présence ici était étrange, généralement les citoyens ne s'aventuraient pas seuls jusque dans la jungle. S'il y avait eu deux personnes, Bishop aurait probablement laissé Nil faire son office, cependant il était vraiment intrigué.

-La jungle ne reçoit pas souvent de visiteurs solitaires, lança-t-il depuis sa cachette.

Seulement alors, il en sorti pour se mettre poliment en vue, bien qu'à une distance respectable pour ne pas se faire attaquer. Il observait l'autre avec attention.

-Mais l'audace est une qualité qui plait à Nil.

Ils n'étaient pas ici pour se calfeutrer dans des murs, ça au moins, Nil l'avait suffisamment fait comprendre.

Et il avait fait mouche. Ça ne faisait pas une heure qu’il rasait les abords de la jungle en demeurant non loin du sable couleur charbon de la baie noire quand il entendit une voix à la fois étrangère et familière. Une voix qui avait déjà résonné entre les huttes de la Cité, ça ne faisait aucun doute. La haute stature du fidèle apôtre de Nil émergea d’entre le feuillage des arbres, se dressant devant le loup à distance respectable, ce qui n’est pas pour lui déplaire, à l’explorateur. Wolf ne peut s’empêcher de sourire en coin face à ses paroles sibyllines. Nil aime l’audace, effectivement. Nil aime la peur aussi. Wolf l’avait compris rapidement. Il menait toutes ses excursions avec cette certitude que ceux qui ne la craignaient pas étaient plus en sécurité que ceux qui se laissaient avoir par ses menaces soufflées dans le vent. Wolf ne craignait pas Nil. Wolf ne craignait pas la mort. Wolf n’avait rien à gagner et rien à perdre.

« Solitaire ? Moi ? Mais j’suis pas seul, voyons. T’es là pour me tenir compagnie. » répond-t-il, le rictus flottant toujours sur ses lèvres légèrement craquelées à cause de la sécheresse et de la soif.

Il chassa le sarcasme et l’arrogance de ses traits, levant les paumes vers les airs dans un signe de paix. Parce que Wolf savait qu’il avait un don pour mettre les gens en colère. Comme si son odeur, son aura, sa posture avaient quelque chose d’insultant pour ses interlocuteurs. Il n’y pouvait rien, le loup, si sa façon d’être les offensait.

« J’espérais te trouver, à vrai dire. J’espérais comprendre Nil à travers ton regard... »

Bishop avait peut-être ce charisme et cette éloquence propre aux charlatans, à ces grands hommes qui parvenaient à insinuer leurs idées dans le crâne de ceux qui le voulaient bien, mais Wolf n’avait rien de dupe. Il savait flatter les gens quand ça l’arrangeait...

Bishop se prit à laisser sa bouche former un sourire discret devant les paroles de Wolf. En effet, il était là avec lui désormais. Pourtant, ils savaient tous les deux que la notion de compagnie était toute relative ici. Ils étaient seuls devant le destin que Nil leur réservait. De glorieuses années pour les plus solides des fidèles, pour les plus dévoués. Nil leur offrait une renaissance, mais chaque naissance impliquait une mort. La vie ici était plus courte, mais plus intense que tout ce qu'ils avaient pu vivre dans leur précédente vie.

Ses paroles suivantes intriguèrent encore un peu plus Bishop, qui pencha légèrement la tête avant de faire lentement quelques pas sur le côté, son regard scrutant les alentours avec attention. On recherchait rarement à le trouver, en particulier lorsqu'on venait de la cité. Il avait réussi à convaincre quelques âmes, ces dernières années, mais Wolf était un endurci, il foulait le sol de l'île depuis bien longtemps.

-Après toutes ces années, Wolf ? Je suis surpris... mais pas déçu.

Son regard sombre se porta une fois de plus sur lui, le scrutant avec la même curiosité. Il avait du mal à s'imaginer que le loup viendrait chercher à comprendre Nil, lui qui avait vécu dans la cité depuis le début, qui cherchait les autres pour les y amener, qui n'avait jamais pris de porte pour une raison qui échappait au banni.

-Que souhaites-tu savoir ? Et toi-même, que sais-tu ?

Derrière eux la jungle bruissait calmement, signe que les créatures de Nil étaient occupées à d'autres plans que de déchiqueter les deux humains. Cette paix ne durerait pas indéfiniment, Bishop savait que l'attention de Nil se tournait de plus en plus vers lui. Il avait hâte de rencontrer son regard. Il sourit. Oh comme le loup devait commencer à désespérer, pour ainsi faire un tel chemin et prendre tant de risques, simplement pour venir le questionner sur Nil.

Il a envie de beugler des idioties, l’alpha. Je sais que je ne sais rien ou un autre truc philosophique à la con qui veut strictement rien dire. Parce qu’il avait pas prévu parler de son passé, parler de Camille qu’il avait si bien enterré le jour où Nil l’avait dégobillé dans l’océan non loin de la plage de galets. Dès les premières semaines de son séjour sur cette île, la seule explication plausible qu’il ait trouvée, c’est que Nil n’existait pas. Pas dans le monde d’où il venait en tout cas. Qu’il devait être mort sur le bord de la route. Peut-être frappé d’un coup de chaleur, happé par une voiture ou simplement victime d’une crise cardiaque ou d’un infarctus. À ses yeux, Nil était son Purgatoire. Cet entre-deux où on lui donnait une dernière chance de se racheter. Il n’y avait que deux issues : la mort qui l’emmènerait vers l’enfer ou la porte qui l’emmènerait au paradis. Parfois, il lui arrivait de s’interroger à savoir s’il ne s’était pas trompé. Tellement de bonnes personnes étaient mortes depuis qu’il avait mis les pieds ici. Qu’est-ce qu’il n’avait pas compris alors ? Est-ce que les portes ramenaient vraiment les gens chez eux, vers ce qu’il avait toujours considéré comme le véritable enfer. Est-ce que les bras de la mort donnaient plutôt le repos à ceux qui s’étaient enfin rachetés, emmenant leurs âmes vers l’autre monde pour qu’elles soient finalement en paix après avoir erré si longtemps dans l’enfer qui s’épanouissait sur Terre ? Plus que jamais, l’ex-taulard avait ce besoin viscéral de comprendre l’île, de lire en elle. Au point où il était, toutes les théories étaient bonnes à entendre. Même celles d’un hurluberlu comme ce gars-là.

« J’ai peur d’avoir tort. J’ai besoin de comprendre Nil, de comprendre pourquoi je suis ici, pourquoi nous sommes tous ici. Pour décider si j’ai bien agi en aidant mes amis à passer les portes. »

Wolf ne voulait pas passer de porte. Quoi qu’il arrive. Si les portes ramenaient les gens là d’où ils venaient, il ne voulait y aller pour rien au monde. Parce que tous ceux qui avaient compté l’avaient abandonné comme s’il n’était rien. Et si les portes amenaient les gens au Paradis, Wolf n’y méritait pas sa place. Wolf mérite de mourir. Purement. Simplement. Parce qu’il avait échoué à chaque opportunité qu’il avait eue pour se racheter. Tout n’était que mensonge : cette identité qu’il s’était créée, cette absence de peur qu’il maintenait sur son visage, son absence de sentiments pour Shaeryn et le sort qu’on lui avait réservé, sa relation avec Louve… tout.

« J’dois comprendre Nil. Pas pour moi. Pour les autres. »

Il ne sait pas si c’est la bonne chose à dire. Parce que les autres ont foutu Rock à la porte. Parce que les autres ont dit qu’il était cinglé. Parce que celui qui se tenait devant lui, maintenant, n’en avait rien à foutre des autres.